Éleveur de brebis dans les Alpes-Maritimes, Vincent de Sousa a perdu 30% de son troupeau à cause de la prédation du loup. Alors forcément, la tentation de tout abandonner est présente.
Perché à 600 m d’altitude, Levens est un charmant village médiéval et l’une des 51 communes de la Métropole Nice Côte d’Azur, situé à une vingtaine de kilomètres de la Promenade des Anglais. Voilà pour la carte postale. Car la réalité est moins glamour.
Lorsqu’il s’y est installé en GAEC avec deux associés il y a une dizaine d’années, pour développer un élevage fermier de 180 brebis dans lequel il produit notamment du fromage et des yaourts, Vincent de Sousa n’imaginait pas ce qui l’attendait. Son rêve s’est transformé en cauchemar. Dans son système d’élevage plein air, ses brebis sont dehors 365 jours par an. Elles sont donc la cible idéale du loup, dans ce département des Alpes-Maritimes qui détient le triste record du plus grand nombre d’attaques du prédateur en 2023 (740 attaques au total qui ont causé la mort de près de 1800 brebis).
Massacres à répétition
« La première attaque du loup pour moi, c’était en 2015, un an après mon installation. En 18 mois, j’ai perdu 19% de mon troupeau, après des attaques successives en estive mais aussi jusque dans ma bergerie, raconte-t-il. J’ai vu des brebis égorgées. C’était une hécatombe. J’ai dû mettre en place des moyens de protection. J’ai pris trois chiens pour protéger le troupeau. Et pendant des semaines, j’ai dormi dans ma voiture, en plein milieu des prés pour surveiller mes bêtes la nuit. »
Dans ces conditions, il faut vraiment s’accrocher pour tenir moralement et remonter la pente. C’est ce qu’a fait Vincent. Avant d’être à nouveau rattrapé par le prédateur. « 2023 a été une nouvelle année noire, avec 10% de mon troupeau décimé en un an par le loup, assène-t-il. Je vis dans un hameau avec dix maisons où il y a eu des passages de loup, y compris en plein jour jusque dans les cours de maison. »
Les pertes financières
Le loup est là, omniprésent, sur ses terres mais aussi dans son esprit. Car pour les éleveurs prédatés, chaque attaque doit être déclarée dans les 72 heures aux services de l’État, pour donner lieu à une indemnisation. Et en plus du travail quotidien à la ferme déjà très conséquent, il faut monter ces dossiers administratifs très lourds. « Je suis en colère parce qu’on perd un temps fou à gérer tout ça, s’insurge-t-il. Monter des dossiers pour avoir des financements pour installer des moyens de protection, monter des dossiers
pour être indemnisé quand nos bêtes sont massacrées. Alors oui, l’État nous aide mais pas complètement. On est indemnisé à hauteur de 850 euros par brebis morte mais une brebis me rapporte 1 000 euros de chiffre d’affaires par an. Donc au final, on nous demande de financer nos ennuis et la prédation ! Drôle de logique… »
Les éleveurs abandonnent
Alors forcément, dans les moments de découragement ultimes Vincent a pensé à tout abandonner, comme l’ont fait de nombreux éleveurs dans son département. « Il y a 20 ans, il y avait 80 000 brebis dans le département, il en reste 28 000 et on a divisé par deux le nombre d’éleveurs : on est 120 sur le département dont 13 qui ont moins de 40 ans. Ma crainte, c’est que dans dix ans il n’y ait plus personne », s’inquiète-t-il.
Pourquoi tenir dans ces conditions ? «Tout ça c’est hyper pesant et usant, c’est vrai. On dort mal, on fait des journées de folie pendant lesquelles on travaille 15 heures, conclut-il. Mais entre l’envie d’arrêter et la réalité de la vie, il y a un monde. Pour monter mon élevage, je suis parti de zéro. Je ne viens pas d’une famille d’agriculteurs. J’ai dû acheter la ferme, créer l’atelier de transformation. J’ai mis dix ans à m’installer en partant de rien, j’ai investi plusieurs centaines de milliers d’euros dans la ferme, je me suis endetté à hauteur de 400 000 euros. Alors lâcher l’affaire, aujourd’hui, non, ce n’est tout simplement pas possible.. .Je n’ai pas les moyens d’arrêter.»