Cédric Carme : quand un prédaté observe le prédateur
Cédric Carme cumule trois casquettes : garde-forestier, référent loup sur son territoire du Tarn et éleveur de brebis…prédaté. Il nous partage sa vision croisée de la prédation.
La ferme, la bergerie et les prés s’étalent sur 15 hectares. Les 80 brebis suffolk pâturent entre Montagne noire au sud et Monts de Lacaune au Nord. Nous sommes au cœur du Parc Naturel du Haut-Languedoc, à Saint-Amans-Soult, où Cédric Carme, 45 ans, a repris l’élevage familial. Et c’est d’abord son quotidien d’éleveur que le loup a bouleversé.
« Un lundi matin de novembre 2021, alors que j’emmenais mon fils à l’école, j’ai été prédaté à 30 mètres de mon habitation. J’ai vu deux brebis apeurées et coincées contre le grillage, six égorgées dans le pré d’autres blessées. J’ai compris de suite. J’ai appelé l’Office Français de la Biodiversité, qui est venu avec le maire et les gendarmes. En tout, j’ai eu 16 brebis atteintes sur les 50 que j’avais à l’époque, se remémore-t-il. Depuis cette date, je pense au loup midi et soir, c’est un choc traumatique hyper violent. Dans l’urgence, j’ai pris un chien patou, puis un second. J’ai installé des clôtures électriques et des filets. Face à l’attaque du loup, l’éleveur que je suis s’est effondré. La Fédération départementale ovine m’a aidé pour les chiens et j’ai conçu un portail anti-loup. Depuis ce jour, je rentre les brebis dans la bergerie tous les soirs, toute l’année. Je m’équipe peu à peu de clôtures fixes et pérennes, seule option pour les laisser en liberté ».
Cinq loups sévissent dans le Tarn
Depuis 2000, Cédric Carme est également garde-forestier pour une coopérative forestière. Dans le cadre de ses fonctions, il a installé des pièges photos pour détecter le prédateur. « Tous les 10 à 15 jours minimum, ces pièges photographient le loup et je reçois une alerte sur mon téléphone. Début mai, il a encore été pris en photo à 3 km de chez moi, poursuit-il. Dans notre département, l’essentiel des photos sont prises sur cinq communes frontalières de l’Aude, Saint-Amans-Soult, Mazamet, Albine, Sauveterre et Lacabarède, qui sont toutes en cercle 1 – zone de prédation avérée, le plus haut niveau. »
Tous ces clichés sont transmis à l’Office Français de la Biodiversité, qui a ainsi pu identifier 5 loups mâles dans le Tarn : elles contribuent à une meilleure connaissance de l’animal.
Le rôle essentiel du référent loup et lynx
C’est également l’Office Français de la Biodiversité qui l’a formé pour devenir référent loup et lynx sur son département. Cette formation porte sur la biologie et les méthodes de suivi des populations, la reconnaissance des indices de présence ainsi que les procédures de transmission de ces indices. « Cela m’a apporté des connaissances pour reconnaître les traces et mieux comprendre tous les aspects de l’animal, se félicite-t-il. En tant que président des collectivités forestières du Tarn, je siège également au comité loup du Tarn, qui est présidé par la préfecture. Cela me permet de faire entendre ma voix de référent mais aussi celle d’éleveur, pour faire comprendre aux autorités que nos brebis sont très utiles pour nettoyer les bordures des massifs forestiers. »
Passion VS souffrance
Infatigable militant de la cause de l’élevage ovin et défenseur de cette nature qui le fait vivre, Cédric Carme oscille entre passion et souffrance. « Ma triple casquette me permet de côtoyer trois milieux : la forêt, le monde agricole et la prédation. C’est passionnant mais parfois, le découragement prend le dessus. Aujourd’hui, dans mon coin, je suis le seul éleveur à avoir plus de 50 brebis, ce qui veut dire que le métier est en danger, conclut-il. A un moment donné, j’ai pensé abandonner l’élevage à cause du loup. La passion en a pris un coup, ma famille et ma santé personnelle aussi. Après avoir été dans le déni, j’ai fini par demander une aide psychologique. Les assises de la prédation, organisées en juin 2023 par le Conseil de l’Agriculture Française, dont fait partie la FNO, ont été comme un groupe de parole géant qui nous a permis de nous retrouver avec des éleveurs de d’autres départements et de partager nos soucis. Grâce aux collègues, j’ai décidé de continuer l’œuvre de mon père, qui avait créé cet élevage. »