Bintu est bergère dans les Hautes-Alpes. Elle garde le troupeau d’un groupement pastorale d’éleveurs de Barratier près de la station de ski des Orres. Dans la nuit de vendredi 7 à samedi 8 aout, elle a subit une attaque de loup malgrès la mise en place des moyens de protections : regroupement nocturne et chien de protection. Ces éleveurs ont livré leur témoignage sur leur site internet. Elle nous fait part de ces reflexions sur le métier de berger, les moyens de protection et les loups. Voici son témoignage.
Témoignage de Bintu, bergère dans les Hautes-Alpes
Nos aïeux les chassaient, aujourd’hui nous les protégeons. Nous?
Peu ou prou de bergers et d’éleveurs directement et au plus près confrontés à leur présence et prédation.
Entre temps, beaucoup de changements sociaux et de pratiques différentes dans l’espace montagnard .
Mais toujours omniprésent, cette représentation dans l’inconscient collectif du loup, emblème d’une faune sauvage et de liberté.
Moi même quand je l’ai vu lundi dernier à une dizaine de mètres de moi au milieu des brebis, le soir, en crête du Lauzet, je l’ai trouvé beau et suis restée un instant fascinée…puis incrédule: un loup au milieu du troupeau sans que ce dernier ne bouge ni les patous aboient !
Et en présence du berger ??
Qu’on vienne encore me sonner avec « toutes ces mesures d’aides que les éleveurs reçoivent pour se prémunir »
Si elles étaient efficaces nous n’en ferions pas tout un foin !
Et les contraintes et incohérences que tout cela engendre, qui en parle ?
Et toute l’énergie déployée ?
Nous abîmons nos montagnes par des passages répétés pour enfermer nos brebis le soir (elles en profitent moins bien et subissent des problèmes sanitaires par ce trop fort confinement) ;
Nous devons gérer les chiens de protection et les éventuels problèmes rencontrés avec les autres usagers (souvent dus à un manque d’information ou d’application sur le comportement à adopter en leur présence) ;
Nous dormons peu par leur aboiements répétitifs, etc.
Et au final le loup s’adapte: il attaque de jour, en plein après midi, sur un GR, et sous notre nez !
Avec ces mesures nous créons l’inverse de l’effet recherché…Il faudrait lui réapprendre à craindre l’homme et à courir après le chevreuil.
Loup, emblème de liberté qui nous oblige à ne jamais baisser la garde. Et pour peu que l’alpage soit boisé, propice aux embuscades, c’est le carton assuré: on ne voit déjà pas tout son troupeau, alors quand il faut y chercher des brebis mortes…
Suite à une attaque matinale samedi dernier, nous en avons retrouvé 12 avec mes éleveur :
12 toutes prises à la gorge et non consommées, ainsi que plusieurs blessées, auxquelles s’ajoutent les disparues.
- Stress pour les survivantes, qui vont pour nombre d’entre elles avorter ;
- Stress pour le berger, qui ne peut plus correctement les mener ;
- Stress pour l’éleveur, qui voit son travail d’amont saboté.
Et toute la logistique imprévue qui en découle, qui en parle ?
Lever à 5h30 du matin, il a fallut chercher et réunir le troupeau, le parquer, le compter, puis arpenter le bois en long et en large en espérant retrouver les manquantes, informer les gardes venus pour le constat, leur indiquer les lieux des crimes, se farcir toute la paperasse, avant de retourner s’occuper du troupeau qui pendant ce temps n’a évidemment point pu pâturer, pour enfin rentrer à la cabane à la frontale…
Où sont les temps de repos ?
Ce n’est pas une farce: nous devons rééduquer le loup !
Mais comment ? En lui infligeant par exemple un souvenir cuisant qui lui servira d’expérience à transmettre.
Mais point de confusion: nous ne demandons pas l’éradication du loup mais sa régulation.
Qui s’insurge des sangliers régulés par les chasseurs? Parfois un quota minimum leur est imposé. Et…qui nous dit que le pâté de loup n’est pas aussi doux ??
Pour ma part, quitte à bouffer du pâté, je préfère avoir une concrète liberté dans le choix de sa qualité, en soutenant une pratique pastorale locale, cohérente, et respectueuse de l’environnement, plutôt que de me laisser imposer une viande insipide, quand elle n’est pas nocive, issue d’un élevage hors sol, ou importé, au visage économique pour le moins juteux et profitable à une minorité. Tout ça pour maintenir quoi ? Cette image rupestre de liberté fabulée ?
Bêêêee……….Non merci!